Rencontre avec Marc Veyrat, figure autodidacte de la cuisine française, né en 1950 à Annecy et élevé à Manigod, en Haute-Savoie. Issu d’une famille rurale, il ancre très tôt sa cuisine dans la montagne, la cueillette et les herbes, symboles qu’incarne son large chapeau, cadeau de son grand-père. Il aime raconter que, sur le chemin de l’école, son aïeul glissait sur le bord du chapeau fruits et plantes sauvages fraîchement cueillis avant de les lui offrir : un geste fondateur.
Après neuf étoiles Michelin, deux fois 20/20 au Gault et Millau et 5 toques Gault et Millau d’or au fil de sa carrière, chapeau, plantes et proximité restent son repère. En 1978, Il ouvre une première auberge au col de la Croix-Fry. Suivront en 1983, L’Auberge de l’Éridan à Veyrier-du-Lac, où il décroche sa première étoile ; en 1992, La Maison Bleue sur les bords du lac d’Annecy, qui assoit son style végétal et alpin. En 1999, il lance l’auberge “La Ferme de mon Père”, à Megève, réplique de la ferme savoyarde traditionnelle de son enfance, en 2013, la Maison des Bois à Manigod qu’il cède à sa fille en 2022. En 2024 il revient à Megève avec son restaurant “Cuisine Haute Définition”
Marc Veyrat représente bien plus qu’une cuisine d’exception, c’est aussi une leçon de vie, un symbole de résilience. Il y a chez Marc Veyrat une manière singulière d’embrasser la vie : tenir cap. Il rappelle les secousses, l’accident, l’immobilisation, les maisons brûlées, sans s’y attarder, avec ce mot qui lui colle aux mains et au cœur : la résilience. « Rebondir pour être plus fort, c’est la résilience », dit-il, avec une humilité redevenue colonne vertébrale. Son « modernisme » et cet atypisme incarné par le chapeau offert par son grand-père n’a jamais été provocation. Marc Veyrat a parfois symbolisé l’innovation technique, comme l’azote liquide pour « arrêter le temps du végétal. À –186 °C, elle saisit les molécules ; herbes et champignons c’est comme si on venait de les cueillir. C’est une méthode de cuisson en vue de la conservation, une façon de prolonger l’été sous la neige ». Quant à l’accord mets-vins prétendument compliqué par les herbes : « Faux, faux, faux ! Ça va très, très bien. »
Autre constante : le rôle social du cuisinier. Marc Veyrat milite à sa manière : « Il va falloir qu’on mange moins pour manger mieux. » Il veut « confisquer » de sa cuisine les produits annexes, gélifiants, stabilisants, qu’il juge nocifs, et rappelle que le métier est « un maillon de la santé publique ». Le remède commence à l’école : « Faisons une chaîne humaine, allons dans les écoles, participons à l’élaboration du goût. »
Interview Marc Veyrat
BG : Vous avez traversé beaucoup d’épreuves
« J’ai eu beaucoup de passages délicats : un accident très grave qui a mis fin à mes “obligations” en 2010, j’ai été paralysé pendant deux ans. J’ai vendu une partie de mes affaires (les murs de la Maison Bleue m’appartiennent toujours). Je me suis remis : en 2013, j’ai créé mon restaurant, la Maison des Bois, à Manigod, où j’ai eu trois étoiles, que j’ai ensuite cédé à ma fille en 2022. Et je me suis dit : je ne peux pas arrêter, je suis un passionné de créativité. »
BG : Vous évoquez aussi des incendies…
« Oui. Mes deux maisons ont brûlé, des millions de dégâts. Il faut de la résilience. Il faut rebondir. La vie m’a appris cette humilité. »
BG : Et aujourd’hui, que voulez-vous transmettre ?
« J’ai eu une chance inouïe, une carrière exceptionnelle, mais qu’est-ce qu’il en reste ? Un sillon : la transmission. J’ai construit ici à Megève il y a trois ans ; on a ouvert l’année dernière le restaurant Marc Veyrat “La Cuisine Haute Définition”. Cet hiver, je viens de m’associer avec Mallory Gabsi un Chef formidable, vous connaissez son histoire. Il vient avec son équipe. »
BG : Concrètement, transmettre, ça ressemble à quoi ?
« Donner des conseils avec le savoir accumulé. Parfois, on veut trop en faire et le trop est l’ennemi du bien. C’est ma vie. »
BG : Vous dites souvent que la table est plus qu’un repas. Vous l’avez même comparée à un « réseau social »
« La table est le plus ancien des réseaux sociaux. La Cène montre que l’alimentaire réunit le monde entier autour de la table. On met même les pires ennemis ensemble. À la gauche du Christ, il y a Judas, son ennemi. Ils se servent, ils partagent : c’est tellement symbolique. La table réunit tout le monde. La cuisine représente aujourd’hui un ancrage et une convivialité qui nous rassemblent, comme un réseau social qui relie les gens. »
La Table de Marc Veyrat
- Apéritif Tartiflette virtuelle
- Œuf émulsion de berce
- Deux foies gras inédits : l’un froid (figue en compotée de poires), l’autre chaud (myrrhe odorante)
- Rose de légumes oubliés, jus de truffe
- Pâtes disparaissantes pour les incompétents du Michelin
- Truite de Savoie, chocolat blanc, multiples agrumes
- Tartelette de homard, senteurs reine des prés
- Soda Vera
- Chevreuil, épinards, oxalys, orange
- Purée truffée, poudrage cacao
- Azote aux arômes de sous-bois
- L’erchë des fromages de la famille
- Pour terminer, l’avalanche de desserts.